Elon Musk va t-il planter le réseau social ou utilise t-il des méthodes bien connues comme le développement itératif agile et la gestion RH Netflix ? Depuis un mois et le rachat de Twitter par Elon Musk, des réactions plus alarmistes les unes des autres se succèdent en ligne et dans la presse. Le réseau social Twitter “va mal”, #RIPTwitter #TwitterDown, plus de la moitié des salariés éjectés brusquement de la plateforme, un nouveau dirigeant qui évoque publiquement ses décisions internes; quelle est la stratégie d’Elon Musk avec Twitter ?
Un Business particulier
Les articles et réactions que j’ai pu lire dénote une claire méconnaissance de la structure du business de cette entreprise; celui-ci repose essentiellement sur une application ou un site web (“le monde de la tech”) dont le système ou plutôt l’application se résume à un flux de messages (textes, images ou vidéos) et quelques fonctionnalités complémentaires (filtrage, gestion d’identité, commentaires,..).
Ainsi une fois le produit disponible en production, le nombre de personnes indispensables à son fonctionnement s’avère extrêmement réduit au regard du nombre d’utilisateurs et de la diffusion mondiale de ce logiciel (surtout que Twitter n’a rien d’exceptionnel d’un point de vue technologique). Ainsi il suffit de quelques équipes spécialisées : hébergement, système, réseau, sur l’architecture technique et fonctionnelle de l’application pour maintenir la plateforme en condition opérationelle.
Donc supprimer 50% voire 75% des effectifs va surtout cibler des fonctions tierces ou “fonction support” du coeur de métier de l’entreprise comme les RH, la communication, le juridique et réduire le volume de ressources techniques. Le rappel de quelques uns traduit plutôt un ajustement pour rattraper des sorties expéditives et donc affiner le dispositif cible, ce qui est plutôt logique.
Les inquiétudes sur les effets de ces départs sont faciles à exprimer mais concrètement il est très peu probable que cela nuise à la fourniture du service et donc au bon fonctionnement de la société. C’est d’ailleurs ce que l’on a constaté avec même des records d’affluence sans rupture de service :
En fait les sociétés qui proposent des outils web ont besoin de peu de salariés pour faire fonctionner et optimiser leur système. Une connaissance m’avait partagé que l’équipe en charge du moteur de recherche Google (le faire évoluer etc…) était constitué de 10 experts (très très bien payés) pour gérer une solution qui fonctionne au niveau monde. De même pour Google Maps où 20 ingénieurs gère ce système!
Elon Musk fonctionne en mode agile
Concernant les critiques sur la pratique d’Elon Musk de demander l’avis des utilisateurs sur les fonctionnalités, le mettre en place, se planter, rectifier, recommencer, etc… Il s’agit d’une bonne pratique des méthodes agile en conception de logiciel informatique!
Livrer une fonction ou demander à en enlever une = sonder ses utilisateurs = faire des itérations = trouver petit à petit le meilleur produit.
Je suis d’ailleurs assez amusé et surpris de le voir faire à cette échelle et avec une telle audience, mais le plus intéressant concerne les réactions outrés : ce sont typiquement les profils de personnes qu’il faut accompagner en entreprise et pour qui il faut mener une conduite du changement ; je le fais depuis plusieurs années dans les sociétés où j’interviens.
Quand on explique le développement itératif de solution, on alloue du temps pour améliorer par étape le produit mis à disposition des utilisateurs. Il faut alors accepter d’échouer, puis de corriger mais on arrive petit à petit au résultat adéquat. C’est une vraie difficulté de l’accepter car on a toujours le réflexe de vouloir immédiatement disposer d’une solution aboutie (donc quelle horreur que de faire des mauvais choix !), or l’expérience montre que ce n’est jamais le cas.
Par exemple, quand on fait construire une maison, on a beau mettre beaucoup d’énergie sur les plans, participer et anticiper les travaux, etc.. on finit parfois (toujours) par découvrir des choses seulement une fois que l’on y habite (quand on utilise le produit) et qui ne sont pas adaptées. Quand j’ai fais aménager les combles de ma maison, j’ai finalement dû déplacer des prises, un radiateur car la lumière et le placement des meubles m’a fait changer d’avis sur la configuration la mieux adaptée.
Elon Musk fonctionne donc en mode agile itératif avec Twitter, mais là ou certains essais semblent logiques, d’autres sont très osés voire extrême car il semble utiliser son serveur de production pour tester des fonctionnalités (le fameux badge bleu)… Il ne lui reste plus qu’à livrer des nouveautés le vendredi pour s’auto-caricaturer au maximum.
Le problème du nombre d’utilisateur
Mais les changements les plus polémiques ne sont pas vraiment au niveau logiciel (là où se situe le risque de dysfonctionnement technique), mais de sa modération (qui était manuelle et humaine) : De nombreuses plaintes portent sur les ré-ouvertures de compte notamment, marquant un désaveu complet d’Elon Musk avec les règles ou le comité qui a appliqué ces exclusions.
Cependant ré-ouvrir ces comptes c’est aussi faire revenir des utilisateurs, de la polémique et donc du traffic ; il faut se rappeler que depuis des années le nombre d’utilisateur twitter stagne, ce qui consistait l’un de ses plus gros problèmes de valorisation et de monétisation au regard des autres réseaux. Comment gagner de l’argent avec 300 millions d’utilisateurs et que l’on n’arrive plus à croître (ce qui est le moteur pour gagner des investisseurs et des annonceurs) ?
Ce fut d’ailleurs une des principales polémiques lors de la procédure de rachat de Twitter avec la présence de faux comptes intégrés au nombre d’utilisateur actifs.
La valeur de la société dépend directement de cette variable, comme tous les réseaux sociaux et entreprises de médias, ne serait-ce que pour facturer de la publicité à un meilleur tarif et donc augmenter ses revenus. L’enjeu est donc de faire le nécessaire pour dynamiser l’activité du produit, en faire sa promotion et relancer son attractivité. En attendant l’arrivée de nouvelles fonctionnalités qui pourrait avoir cet effet, je pense qu’Elon Musk utilise donc les seules réelles cartes qu’il peut jouer : sa notoriété et la polémique pour générer du traffic et gagner de nouveaux clients… quitte à réouvrir d’anciens comptes qui apporteront aussi le leur lot de polémiques et de problèmes mais aussi de l’audience capitale pour augmenter le chiffres d’affaires.
Licenciements : La méthode Netflix par l’exemple
Le PDG de Netflix, Reed Hastings, a été contraint de licencier la moitié de ses employés avant de réussir à faire décoller son business. Il en a écrit un livre pour expliquer sa méthode.
En très résumé elle consiste à ne recruter que les meilleurs ressources possibles avec les compétences les plus recherchés, de très bien les payer pour s’assurer de les conserver. Ces ressources seront la clé de la réussite future. Il explique ainsi qu’avec seulement 50% de ses salariés, Netflix a rattrapé le chiffre d’affaire puis dépassé celui-ci l’année suivante, pour ensuite atteindre la réussite que l’on sait. Vous trouverez une bonne critique du livre ici.
L’organisation de Hastings repose sur trois principes-clés, :
1. Encourager la densité de talents : engager et conserver les meilleurs salariés, quel qu’en soit le coût.
2. Promouvoir l’honnêteté, par un feedback à tous les niveaux et une grande transparence organisationnelle.
3. Supprimer les contrôles – comme le nombre de jours de vacances que peuvent prendre les salariés, par exemple – et de façon générale, tous les contrôles hiérarchiques.
Et c’est concrètement ce que fait Elon Musk pour Twitter (1 & 2 en un seul tweet) :
Désormais il reste donc à voir si la méthode agile combiné avec la stratégie Netflix va rentabiliser le colossal investissement effectué. Je pense que cela passera par des ajout de fonctionnalités significatifs au produit de base (façon WeChat : paiement en ligne,..) mais les premiers signes envoyés me semble, au contraire du discours massivement relayé, prometteur pour sa société.
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